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The Disunited States / Les Etats-DĂ©sunis

(voir plus loin pour l’original français)

The News of Englewood reports that a hundred poor families of this rich Jersey City suburb eat straight from the trash cans, con- cluding: “This is a state of affairs that must be rectified at once, a state of affairs that any red-blooded citizen will want to put a stop to, even if it costs him his bottom dollar. The necessary amount must be raised immediately to build a waste incinerator that will put an end to these revolting practices.” (Page 62)
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The New York Anti-Vivisection Society decided to give its semi- annual reward—a statuette—to a Brooklyn police officer who saved the life of a wounded wild duck by dabbing antiseptic solution onto the wound.

April 17. Former journalist Max Schulz committed suicide in a small New Jersey town. He left a note saying, “our economic system, which throws a man in the garbage when he’s over fifty, gives you no reason to keep on living.” Schulz was fifty-one years old.

April 20. A great event yesterday afternoon at Saint Mark’s Church in the Bowery. A large brown curtain separated the altar from the nave. It rose on six young women, barefoot and white-robed, who performed a dance symbolizing the Annunciation. The nave was in total darkness while four spotlights, red and blue, illuminated the dancers. The altar was enveloped in thick clouds of incense.

For lack of funds, the schools of Jefferson County, Alabama, close their doors end of April, a month before the summer holidays.

An improved electric chair has just been installed in the Chicago prison. Instead of fastening the straps around the body of the condemned, the executioner will now simply have to lower a lever. Instead of forty seconds, the preparations will take no more than ten. (Page 197)
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The big room is dimly lit. Chinese lanterns hanging from the ceiling provide frugal lighting for the wooden counter, in the back the dance floor surrounded by a walkway, and a black jazz band in the corner.

By the bars on either side of the dance floor, men and women stand facing each other. Mostly young men. The worn out tie, creased collar, tight jacket betray the petty office worker, sales clerk, errand boy. There are no rich boys here, and definitely no workers. Women, some young, some pretty, all made up, wearing evening dresses slit to mid-thigh.
They dance.
Watch the heads, heads only. Mouths are closed: nobody talks, nobody smiles. Jaws unnoticeably move around balls of chewing gum. The dancers vacantly gaze at the jazz band, the bar, and as a last resort, their partners. The dance is slow and couples move with majestic indifference. Sometimes a man reddens, closes his eyes, grits his teeth; a vein bulges on his forehead: he looks as if he is suf- focating. The crisis is short-lived. The immobile dancing goes on.
The movement is happening lower down, at hip level. Rumps poured into white satin or black velvet roll frantically right and left, up and down. What man, even old and worn out, could resist that belly pressed against him, that thigh continuously sliding in and out between his?
And indeed, nobody resists. Along the wall, men sprawl on benches, dog-tired, slumped over, emptied of their substance. Some are sleeping. Others look straight in front of them with a dull expression. These men are not rich, and cannot return any time soon to spend a dollar on “instruction dances.” Must make the pleasure last, make the twelve dances last several hours to climax effectively. The men recover their strength.
Others, leaning on the copper bar, slide their eyes over the swaying female buttocks. With a solemn and critical air, they gauge, size up: they make their choices.
In this place, the notions of service and efficiency are put into practice. What is this really about? Men suffer from a buildup of semen in their genitals. They have no relations in the desert of New York, they do not dare get close to a girl because they are scared to death of getting her pregnant or of being blackmailed; they are not rich enough to get married, or even to go to a brothel where, in any case, they might catch something.
However, a few simple movements are enough to bring relief. Many take care of it themselves, alone. But their satisfaction will be multiplied by ten with a bit of female help (incidentally, the word “help” in the US has this specific meaning when a woman says: Shall I help you?). It seems absurd from a mechanical point of view, but that is how it is.
It’s a matter of women “helping” men in the shortest possible time, for a very low price, and with no risk for men of contracting a disease or for women of becoming pregnant.
(Page 201)

Les Etats-DĂ©sunis

Le News, journal d’Englewood, raconte que cent familles pauvres de ce riche faubourg de Jersey City se nourrissent à même les poubelles, et conclut : « C’est là un état de choses auquel il faut remédier sur-le-champ, un état de choses que tout citoyen qui a du sang dans les veines tiendra à faire cesser, dût-il dépenser son dernier dollar. Il faut réunir tout de suite la somme nécessaire à la construction d’un incinérateur d’ordures qui mettra fin à ces pratiques révoltantes. » (Page 72)
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La Société new-yorkaise des Adversaires de la Vivisection a décidé d’attribuer sa récompense semi-annuelle – une statuette – à un agent de police de Brooklyn qui avait sauvé la vie d’un canard sauvage, blessé, en barbouillant sa plaie avec une solution antiseptique.

17 avril. Un ancien journaliste, Max Schulz, s’est donné la mort dans une petite ville de New Jersey. Il a laissé une note pour dire que « notre système économique qui jette un homme aux ordures lorsqu’il a dépassé la cinquantaine, n’offre aucune raison de continuer à vivre ». Schulz avait cinquante et un ans.

20 avril. Grand événement hier après-midi au temple Saint-Marc, dans le bas de Manhattan. Un large rideau marron séparait l’autel de la nef. Il s’est levé sur six jeunes femmes nu-pieds, vêtues de robes blanches, qui ont exécuté une danse symbolisant l’Annonciation. La nef était plongée dans une obscurité complète tandis que quatre projecteurs, rouges et bleus, éclairaient les danseuses. D’épais nuages d’encens enveloppaient l’autel.

Faute d’argent, les écoles du comté de Jefferson, dans l’Alabama, ferment leurs portes fin avril, un mois avant les grandes vacances.

On vient d’installer à la prison de Chicago une chaise électrique perfectionnée. Au lieu de fixer les courroies au corps du condamné, le bourreau n’aura désormais qu’à abaisser un levier. Au lieu de quarante secondes, les préparatifs n’en prendront plus que dix. (Page 225)
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La grande salle est plongée dans la pénombre. Des lanternes chinoises qui pendent au plafond éclairent parcimonieusement le comptoir de bois, au fond, la piste entourée d’un promenoir et, dans un coin, un jazz noir.

Des deux côtés de la barre qui limite la piste, hommes et femmes s’affrontent. Hommes jeunes pour la plupart. La cravate élimée, le col chiffonné, le veston étriqué trahissent le petit employé de bureau, le vendeur de magasin, le garçon de courses. Il n’y a pas de richards ici et, assurément, pas d’ouvriers. Les femmes, quelques-unes jeunes, quelques-unes jolies, toutes fardées, portent des robes du soir, fendues jusqu’à mi-cuisse.

On danse.

Voyez les têtes, les têtes seulement. Les bouches sont fermées : personne ne parle, personne ne sourit. Les mâchoires roulent imperceptiblement sur une boule de chewing-gum. Les danseuses posent un regard absent sur le jazz, sur le bar, à la rigueur sur leur partenaire. La danse est lente, et les couples se déplacent avec une majestueuse indifférence. Parfois un homme s’empourpre, ferme les yeux, serre les dents, une veine s’enfle sur son front : on dirait qu’il étouffe. La crise ne dure guère. La danse immobile se poursuit.

Le mouvement est situé plus bas, à la hauteur des hanches. Les croupes moulées dans du satin blanc ou dans du velours noir roulent frénétiquement, de droite à gauche, de haut en bas. Quel homme, fût-il vieux et usé, saurait résister à ce ventre qui se plaque contre lui, à cette cuisse qui s’insère entre les siennes en un va-et-vient continu ?

En effet, personne n’y résiste. Le long d’un mur, des hommes flapis, avachis, vidés de leur substance, sont affalés sur des banquettes. Certains sommeillent. D’autres fixent devant eux un regard terne. Ils ne sont pas riches, ces hommes, et ne pourront pas revenir de sitôt dépenser un dollar en « danses éducatives ». Il faut faire durer le plaisir, répartir les douze danses auxquelles on a droit sur plusieurs heures pour en jouir effectivement. Les  hommes reprennent des forces.

D’autres, accoudés à la barre de cuivre, suivent des yeux le roulis des fesses féminines. L’air grave et critique, ils jaugent, ils soupèsent : ils font leur choix.

Dans cet endroit, la notion du service et celle de l’efficiency sont mises en pratique. De quoi s’agit-il, au fond ? Des hommes souffrent d’un trop-plein de semence dans leurs organes génitaux. Ils n’ont pas de relations dans le désert de New York, ils n’osent pas se lier avec une jeune fille car ils sont mortellement effrayés à l’idée de la rendre enceinte ou de subir un chantage ; ils ne sont pas assez riches pour se marier, ni même pour aller au bordel où, du reste, ils risqueraient la contagion.

Or, pour les soulager, il suffit de quelques simples gestes. Beaucoup s’en acquittent eux-mêmes, solitairement. Mais leur satisfaction sera décuplée s’ils sont aidés par une femme (d’ailleurs, le mot « aider », en américain, a cette signification précise dans une bouche féminine : Shall I help you ?). Cela paraît absurde du point de vue mécanique, mais il en est ainsi.

Il s’agit donc de faire « aider » les hommes par des femmes, dans le laps de temps le plus court, pour un prix très bas, et sans aucun risque, pour l’homme de contracter une maladie, pour la femme de devenir enceinte. (Page 229)

The Disunited States, Seven Stories Press, 2014

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