Cher Wowotchka* (vous m’en excusez ?)
Tout simplement – un coup de téléphone – (Boulogne 7-90) et on va fixer un rendez-vous.
Bien Ă vous.
Marc Chagall
*Diminutif d’un diminutif de Vladimir : Chagall, jeune homme, avait connu Pozner enfant, Ă Petrograd (voir plus bas).
Cher Vladimir Pozner,
Merci pour le livre. Il est bon de lire votre énergie et il y a de quoi vous parler. Faites un effort pour que je vous voie plus souvent. Tant de souvenirs. Je vois votre père (et maman) comme si c’était hier. Il m’a tellement aimé et défendu – ah ! quand écrirai-je « mon » livre.
Je serre de tout cœur votre main.
Marc Chagall
– Vous ne pouvez pas vous souvenir de moi, dit-il. Vous étiez trop petit ? Quand je suis arrivé à Pétersbourg, je n’avais pas le droit d’y rester, je n’avais pas de papiers pour me faire enregistrer ; pour avoir le droit de séjour, il fallait travailler quelque part et loger à l’endroit où l’on travaille. Votre papa travaillait à la revue – je crois Voskhod – je crois même qu’il était secrétaire de rédaction, c’était rue Zakharievskaïa, et c’est là que je logeais, à la rédaction, au milieu des numéros de la revue, dit-il, et il rit. C’était un quartier riche, c’est là que votre papa m’avait placé. Il travaillait pour M. Vinaver, l’avocat, et il faisait partie d’un petit groupe qui s’occupait de venir en aide aux jeunes – c’était très bien, à présent, on n’aide pas les jeunes – et votre papa croyait que j’étais doué. Il y avait aussi M. Sev, il m’a même acheté un tableau, vous l’avez vu à l’exposition : un enterrement, il me l’a payé huit roubles, et il a dit : « C’est trop d’argent, c’est mauvais pour les artistes, ça les gâte ». Et moi, plus tard, j’ai racheté ce tableau pour cinquante mille francs. M. Vinaver m’a acheté un tableau, lui aussi : vous l’avez vu à l’exposition, c’est un mariage.
J’en ai vu plus d’un, mais je pense à celui qui est petit et où l’on voit, dans une rue de village russe, un groupe de juifs qui défilent à la suite d’une jeune femme en blanc, d’un homme en
noir : les mariés.
– M. Vinaver me l’a acheté, dit Chagall, il pensait que j’avais peut-être du talent. Mais votre papa, il était différent, il était très fin, il m’a commandé un tableau : un portrait de vous et de votre frère, une commande payée, peut-être ma première commande, vous étiez trop petits pour poser, j’ai emprunté une photo pour le faire.
Il réfléchit :
– C’était bien dessiné. Vous ne pouvez pas vous souvenir.
Je me souviens et dis :
– Mon frère est assis sur une table, il est tout petit, je crois qu’il porte encore la jupe, et moi, je suis à côté de lui, mais debout, ou peut-être agenouillé près de la table.
(Vladimir Pozner se souvient)