Anna Seghers

C’était une vieille amie : ma femme l’avait connue à Berlin, moi à Paris. Je me souviens de notre première rencontre, en 1933, à une réunion pour la défense de l’émigration allemande, organisée par l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires : cette année nous protestions plus encore que les années précédentes, et nous étions loin du compte.
À la tribune, où étaient installés Paul Vaillant-Couturier, Aragon et d’autres, je m’étais trouvé à côté d’une jeune femme myope qui portait sur la nuque un chignon dont s’échappaient des mèches qu’elle essayait, en vain, de ce geste qu’on a, le coude relevé et les doigts écartés, de fourrer les unes sous les autres. Elle était une des rares réfugiées à parler français. Je ne sais plus pourquoi nous étions réunis ce soir-là, ni qui a pris la parole. Je me souviens seulement de ma voisine avec ses yeux plissés et ses mèches rebelles.

(Vladimir Pozner se souvient)

Chère Ida, cher Volodia,
Cela faisait longtemps que je voulais vous écrire, à peu de choses près, depuis mon retour de Paris, et cela pour la raison suivante : j’avais l’impression que je n’étais pas en état, pendant notre brève rencontre, de vous dire à quel point je m’étais réjouie de nos retrouvailles. La fatigue m’empêchait de parler vraiment avec vous. Bien que ma jambe n’ait pas guéri, je veux, si vous êtes d’accord, vous rendre visite quand je reviendrai. Il y avait tant de choses à se dire, je ne sais pas pourquoi nous nous sommes installés dans un café au lieu d’aller manger ensemble et nous amuser.
Toi, Volodia, tu comprendras un pareil Ă©tat de fatigue.
J’espère que vous allez bien, vous deux, que vous êtes contents, et j’espère vous revoir dans le courant de l’année.
Cette lettre n’a aucune raison particulière, j’éprouvais le besoin d’exprimer une pensée qui tourne dans ma tête depuis longtemps.
Soyez embrassés par

votre Anna.