Jean-Richard Bloch

Jean-Richard Bloch

la MĂ©rigote, POITIERS (Vienne) le 28 juin 32

M. Vladimir Pozner
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Cher Monsieur,
Je vous dois je ne sais combien de lettres. À mieux dire, je me les dois Ă  moi-mĂȘme, entendant par lĂ  que je tiens Ă  vous rĂ©pondre, que je me le dois autant qu’à vous, et que vos questions, vos paroles, votre livre, ont soulevĂ© quantitĂ© de problĂšmes sur lesquels j’aimerais Ă  m’entretenir avec vous.
Car il s’agirait bien plutît d’une conversation que d’une explication ou d’un plaidoyer. Je tiens davantage à me rendre compte et à comprendre, qu’à prouver que j’ai eu raison.
L’annĂ©e derniĂšre, vous m’avez questionnĂ© sur les auteurs russes contemporains qui m’avaient surtout frappĂ©. En mars de cette annĂ©e, vous m’avez Ă©crit une lettre bien intĂ©ressante, Ă  propos de mon Commentaire, l’UNITÉ DU MONDE. Elle m’a accompagnĂ© dans mes dĂ©placements. Je cherchais toujours le temps de vous rĂ©pondre.
Là-dessus est arrivé votre beau grand livre, plein de faits et de précisions.
Vous savez que je suis attelĂ© Ă  diffĂ©rentes besognes, – une sĂ©rie d’études idĂ©ologiques, dont la chaĂźne commence Ă  DESTIN DU THÉÂTRE et Ă  DESTIN DU SIÈCLE (sans mĂȘme remonter Ă  CARNAVAL EST MORT) et va se poursuivre rĂ©guliĂšrement, chez Rieder ; une sĂ©rie d’ouvrages que, pour faire bref, j’appellerai encore des « romans », qui s’ente sur …ET COMPAGNIE, qui va former une chaĂźne de dix Ă  quinze volumes, dont le premier achevĂ© paraĂźt en ce moment dans la Nouvelle Revue Française, et dont le destin avouĂ© est de substituer Ă  la formule du roman bourgeois, que je considĂšre comme Ă©teinte, une formule nouvelle ; – enfin une sĂ©rie d’ouvrages Ă  cĂŽtĂ© qui verront le jour dans les interstices des deux sĂ©ries prĂ©cĂ©dentes.
Tout cela entremĂȘlĂ© des ennuis continuels que me donne ma santĂ©, la plus irrĂ©guliĂšre qu’on puisse imaginer. Il y a quinze mois que je ne suis revenu Ă  Paris, pour Ă©viter toute dĂ©perdition de forces et parce que, Parisien de naissance, y ayant vĂ©cu toutes ces derniĂšres annĂ©es, je sais trop ce qu’on peut y trouver, – surtout ce qu’on n’y peut pas trouver.
Je vous rĂ©pondrai donc dĂšs que cela me sera possible. J’en ai le dĂ©sir autant que l’intention. Pour le moment, je suis dans un coup de collier qui ne me laisse pas le loisir de souffler, et, par ailleurs, je me bats contre ma santĂ©. DĂšs que je le pourrai Ă©galement, je vous demanderai s’il vous sera possible de venir une fois passer trente-six heures Ă  Poitiers. Ce sera encore le meilleur moyen de tirer certaines choses au clair. J’espĂšre vivement qu’il vous sera loisible de nous faire ce plaisir.
Ce mot n’a Ă©tĂ© que pour jeter une passerelle sur un silence qui devait commencer Ă  vous paraĂźtre incomprĂ©hensible et pour vous tĂ©moigner ma reconnaissante et fraternelle sympathie.

Jean-Richard Bloch