En 1972, mon père a Ă©crit Vladimir Pozner se souvient. Il y relatait des rencontres, des amitiĂ©s, des parcours communs, des bouts de vie avec Brecht, Eisler, Pasternak, Picasso, Oppenheimer, Chaplin et bien d’autres, non pas tant parce qu’il s’agissait de gens cĂ©lèbres mais plutĂ´t parce que les rencontres de sa vie s’Ă©taient ainsi faites, visions parallèles du monde, chemins de l’Ă©migration parcourus de concert, bouillonnement des marmites mentales.
Tout un chapitre Ă©tait consacrĂ© Ă Elsa Triolet et Louis Aragon. Plus tard, en 1989, quand le livre a Ă©tĂ© rĂ©Ă©ditĂ©, Volodia – c’est mon père – a augmentĂ© le volume mais supprimĂ© le passage en question. Ou plutĂ´t, il l’a mis de cĂ´tĂ©, avec une idĂ©e simple en tĂŞte. Depuis toujours, comme on dit, Elsa et Aragon faisaient partie de son paysage. Elle, c’Ă©tait la Russie, oĂą il avait Ă©tĂ© enfant et adolescent, lui, c’Ă©tait la poĂ©sie, le tout premier mĂ©tier de Volodia, et une certaine fraternitĂ© des idĂ©es politiques. Tout cela remontait aux annĂ©es vingt et mon père avait gardĂ© des notes, bribes de discussions, traces d’Ă©vĂ©nements, observations, remarques, aide-mĂ©moire Ă main levĂ©e. Pourquoi ne pas les utiliser, reprendre le texte publiĂ© dans Se souvient, y ajouter tout ce qui n’y avait pas trouvĂ© place, en faire un petit livre ? Il y avait tant Ă raconter, du dit et du non-dit, et du sous-entendu Ă porter au grand air.
André Pozner, préface, mars 2001
Les premiers mots
Le mardi 16 juin 1970, rentrant de l’école, mon petit-fils écoutait la radio, comme d’habitude. Il a alerté sa mère, elle a décroché le téléphone.
– Tu sais ?
Je n’ai rien compris.
– Elsa.
J’entendais au fond la voix du speaker :
– Nous venons d’apprendre la mort.
Et la voix du garçon :
– À dix-sept heures trente.
– À dix-sept heures trente, répéta Catherine.
Je m’informai stupidement :
– Où sont-ils.
Ma fille comprit, dit :
– Il est avec elle.
– À Saint-Arnoult, dit Sébastien.
A propos de…
L’auteur, disparu en 1992, montre beaucoup de dĂ©licatesse pour faire le portrait
d’Aragon et d’Elsa. Ses souvenirs sont aujourd’hui Ă©ditĂ©s par AndrĂ©, son fils, et Daniel, son petit-fils, qui ont retrouvĂ© ce carnet vert dont la couverture est ornĂ©e d’une colombe. Pozner, alias « Volodia », y notait entre 1946 et 1977 tous les dĂ©tails de son amitiĂ©, de sa complicitĂ© avec le couple, au-delĂ des hautes turbulences. Il parle de la jeunesse d’Elsa si rieuse, rĂ©vèle un Aragon vieillissant et Ă©voque ses propres conflits avec le Parti communiste. Un bel ouvrage de famille.
Ruth Valentini, Le Nouvel Observateur, 2001
Après une longue absence, je ne m’attendais plus Ă ce bonheur chaque fois Ă©prouvĂ© quand un livre de Vladimir Pozner arrivait sur ma table, avec le V. signant la dĂ©dicace, d’autant plus brève, disait-il, qu’il Ă©prouvait de l’amitiĂ© pour le destinataire. Pour moi il n’y avait que deux ou trois mots avant le V. Et puis voici ce petit livre : Souvenirs sur Aragon et Elsa. Courez l’acheter, pour 50 francs. Vous ne perdrez pas votre temps. L’essentiel c’est de retrouver le style si particulier de Pozner : concision, sous-entendant plus qu’exprimant, style dĂ©pouillĂ©, inimitable, parfait. Lisez ! Pozner c’est toujours une provocation Ă l’espoir et Ă la tendresse. C’est aussi le mot juste, ouvrant dans le cĹ“ur du lecteur des routes nouvelles. J’Ă©cris ceci pour rĂ©veiller les Ă©diteurs. Pozner doit revenir. Pozner revient.
Madeleine Riffaud, Faites entrer l’infini, 2001