Tolstoï, fuyant sa maison et les siens, tomba malade dans une gare perdue, à Astapovo. Il y mourrait une semaine plus tard, le 7 novembre 1910. Pendant sept jours, le télégraphe servit de lien unique entre Astapovo et le monde. Les copies des dépêches, conservées dans les archives, furent retrouvées et réunies en volumes. Elles constituent l’ossature de ce livre. Tous les faits relatés sont authentiques, toutes les citations littérales, tous les détails conformes à la réalité. Quelques répliques ou remarques, ajoutées de-ci de-là , sont écrites dans le prolongement des témoignages télégraphiques, nécessairement brefs.
Vladimir Pozner
Les premiers mots
Le 1er novembre 1910, à 10 h 10 du matin, un télégramme est remis au guichet de la petite gare d’Astapovo, sur la ligne de chemin de fer Riazan-Oural.
« Hier suis tombé malade. Voyageurs m’ont vu, affaibli, descendre du train. Crains que la nouvelle ne se propage. Aujourd’hui, amélioration. Poursuivons voyage. Prenez mesures. Tenez-nous au courant. »
A propos de…
RĂ©cit d’une agonie mythique
Il faut absolument lire ce livre d’une audacieuse simplicitĂ©. Un Ă©crivain de 30 ans avec une manière franche d’aborder les choses, un sens aigu des faits, un regard lĂ©gèrement en surplomb, rencontre d’emblĂ©e ce qui est, ou devrait ĂŞtre, la dĂ©finition mĂŞme de toute entreprise littĂ©raire : l’accès immĂ©diat Ă un monde d’Ă©motion et de pensĂ©e.
Danièle Sallenave, Le Monde, 5 février 2010
Le télégraphe, avant l’iPad, faisait son entrée dans la littérature
Tolstoï est mort, de Vladimir Pozner (dont l’œuvre est à redécouvrir, en commençant par Le Mors aux dents et Les Etats-Désunis), reprend également des témoignages, des dépêches et des lettres. En 185 chapitres brefs, c’est le dernier séjour de Tolstoï qui est relaté. Lié aux mouvements de l’avant-garde poétique en Russie, l’auteur a construit une sorte de chant, un collage vigoureux, qui reproduit la situation absurde de l’écrivain agonisant, coupé de sa propre gloire. On pense aux romans-documents de Blaise Cendrars, L’Or et Rhum, et à l’ouverture de L’Espoir d’André Malraux. Le télégraphe, avant l’iPad, faisait son entrée dans la littérature.
Raphaël Sorin, Blog Libé, 4 février 2010
La mort de TolstoĂŻ, premier reality show de l’histoire
Le livre qui restitue le mieux l’aura extraordinaire de cet Ă©vĂ©nement est sans doute TolstoĂŻ est mort, publiĂ© pour la première fois en 1935 et rĂ©Ă©ditĂ© rĂ©cemment en France et en Italie.
Lara Crinò, Il Venerdi di Repubblica, mai 2010
Les livres de Elle
Si la vie de LĂ©on TolstoĂŻ est ponctuĂ©e de retournements dĂ©routants, que dire de sa mort ? A l’âge de 82 ans, après un demi-siècle de mariage avec la comtesse Sophie qui lui donna treize enfants, il dĂ©cide de fuir la demeure familiale. Voyageant sous un nom d’emprunt, il tombe malade et est recueilli par le chef de gare. Très vite, les journalistes accourent… Le regrettĂ© Vladimir Pozner a choisi dans « TolstoĂŻ est mort », Ă©crit en 1935, de reconstituer les derniers jours du grand Ă©crivain. Aujourd’hui rĂ©Ă©ditĂ©s, ces fragments mĂŞlant courtes phrases et citations authentiques construisent un roman passionnant et Ă©tonnamment… contemporain !
Héléna Villovitch, Elle, 2-8 mars 2010
Pozner, un inventeur de formes
NĂ© Ă Paris en 1905 de parents d’origine russe, il portera en lui, sa vie durant, cette sorte de double origine : en Russie au moment de la RĂ©volution, il s’y rĂ©vèle un jeune poète prometteur, soutenu par Gorki, proche de ceux que l’on appellera les formalistes. De retour en France, il fait dĂ©couvrir les nouvelles tendances littĂ©raires de cette neuve Union soviĂ©tique, avant de devenir lui-mĂŞme romancier. Il soutient, durant les annĂ©es 30, les Ă©crivains allemands en exil puis la RĂ©publique espagnole, parcourt les Etats- Unis en 1936 avant de devoir s’y rĂ©fugier pendant la guerre (il Ă©crit quelques scĂ©narios pour Hollywood). L’après-guerre le voit poursuivre la lutte : il accueille ces nouveaux exilĂ©s que sont les victimes du maccarthysme, entretient des amitiĂ©s multiples et fidèles – avec Brecht, Chagall, Bunuel… Victime d’un plasticage de l’OAS en 1962, il Ă©chappe Ă la mort et poursuit son Ĺ“uvre jusqu’en 1992 — ayant traversĂ© le siècle, Ĺ“il vivant, dĂ©couvreur attentif et artiste novateur.
Thierry Cecille, Le Matricule des anges, mars 2010
La mort de TolstoĂŻ en direct
La fugue et la fin de TolstoĂŻ contiennent en fait un potentiel romanesque et fictionnel qui a attirĂ© l’intĂ©rĂŞt des Ă©crivains, biographes et cinĂ©astes : de Romain Rolland Ă Stephan Zweig, de Tomas Mann Ă Rainer Maria Rilke jusqu’Ă Orwell et bien d’autres, la liste est vaste. Chacun cependant a voulu voir dans la fugue et la fin de TolstoĂŻ une sorte d’Ă©vĂ©nement paradigmatique, nĂ©gligeant la chronique au profit d’une relecture souvent symbolique et pas toujours impartiale de la rĂ©alitĂ©. Le seul livre qui a vraiment racontĂ© la fugue et la fin de TolstoĂŻ a Ă©tĂ© Ă©crit en 1935 par Vladimir Pozner.
Mattia Mantovani, La Provincia di Lecco, juin 2010
Sur un événement devenu mythique, Pozner écrivit un premier livre à la facture originale qui donna la mesure de son talent.
Vladimir Pozner est un de ces intellectuels et Ă©crivains d’exception comme le XXe siècle en connut peu. Russe et Français tout Ă la fois, mais aussi esprit universel et cosmopolite, prenant son miel lĂ oĂą il le trouvait, loin de toute contrainte, il fut sa vie durant un homme engagĂ© qui croyait que le monde pouvait et devait changer. (…) En 1935, son premier livre, TolstoĂŻ est mort, connaĂ®t un succès retentissant.
(…) Le livre est le rĂ©cit heure par heure, minute par minute, de la fin du grand homme, suivie dans le monde entier au moyen des tĂ©lĂ©grammes et des journaux. Face Ă une popularitĂ© immense qui ne peut ĂŞtre comparĂ©e qu’Ă celle de Victor Hugo pour les Français, le gouvernement tsariste, qui craignait TolstoĂŻ, Ă©tait sur les dents et avait dĂ©pĂŞchĂ© des policiers chargĂ©s de suivre son agonie. (…) Les paysages dĂ©trempĂ©s, la nuit ou la grisaille du jour, les attroupements silencieux, le sifflet du train… dessinent une toile de fond au diapason de l’angoisse de tous les spectateurs de cette agonie.
A partir de ce fil conducteur, Vladimir Pozner rĂ©alise un rĂ©cit fort et original en utilisant la technique du montage comme l’avaient pratiquĂ©e les cinĂ©astes et les photographes tels Rodtchenko ou John Heartfield, dont l’influence fut grande sur les Ă©crivains russes des annĂ©es 1920. (…)
On ne raconte plus, le lecteur devient acteur de l’aventure en recrĂ©ant du lien et du sens tel que lui le perçoit. Vladimir Pozner, en mettant en place une technique d’Ă©criture qui aurait pu ĂŞtre dĂ©routante, voire ennuyeuse, rĂ©ussit le tour de force de rendre passionnant ce qui aurait pu sembler insignifiant et Ă faire surgir, Ă©troitement liĂ©es, Ă©motion et pensĂ©e. Du grand art.
Marie-ThĂ©rèse SimĂ©on, L’HumanitĂ©/Les lettres françaises, juin 2010
Le cas TolstoĂŻ
C’est le mĂ©rite de Pozner qui a voulu consulter tous les tĂ©lĂ©grammes partis de et arrivĂ©s Ă Astapovo. Son compte rendu, « monté » comme une sĂ©quence de film (Pozner a aussi Ă©tĂ© scĂ©nariste, et son « The Dark Mirror » a Ă©tĂ© nommĂ© aux Oscars en 1946) a une saveur Ă Ă©gale distance d’Ionesco et de Gogol.
Nicoletta Tiliacos, Il Foglio, juin 2010
Et TolstoĂŻ fugua
Dès que la nouvelle de la fugue de l’écrivain est connue, les échotiers arrivent en masse à Astapovo et précèdent la famille. Grâce aux dépêches, nous n’ignorons rien du quotidien du grand homme : son pouls, sa nourriture, sa température… D’après la rumeur, des foules de disciples caucasiens feraient le siège de la ville. «Tout, souligne Vladimir Pozner, est matière à articles, les mensonges comme les mises au point, les suppositions comme les démentis.»
Joseph Macé-Scaron, Le Magazine littéraire, février 2010
Le retour de Pozner
La prĂ©sence de Vladimir Pozner, disparu en 1992, s’imposait Ă l’occasion de la cĂ©lĂ©bration de l’annĂ©e de la Russie. Sa forte personnalitĂ© d’Ă©crivain et de journaliste en fait le trait d’union culturel entre nos deux pays. NĂ© Ă Paris en 1905, il passa sa jeunesse Ă Petrograd au moment de la rĂ©volution de 1917. De retour en France en 1921, c’est en langue française que le jeune homme qui a traduit TolstoĂŻ, DostoĂŻevski et la nouvelle littĂ©rature soviĂ©tique, Ă©crit ses premiers ouvrages.
Jean-Claude Lamy, Le Midi libre, 23 avril 2010
TolstoĂŻ est mort, docu-livre de Vladimir Pozner
Le montage d’Astapovo
Avant 1935, on pensait tout savoir sur la fugue sĂ©nile de LĂ©on TolstoĂŻ et sur sa mort dans le village d’Astapovo : c’est alors que Pozner a « monté » tout le matĂ©riel dispersĂ© (tĂ©lĂ©grammes, articles, rapports de police) avec une incroyable tension objective, et ainsi rĂ©alisĂ© un grand roman sur le dernier souffle de l’Ă©popĂ©e.
Enzo di Mauro, Alias, supplément à Il Manifesto, juillet 2010
Le monde épie les derniers battements de son cœur
Pozner reconstruit cet ultime Ă©pisode de la vie de TolstoĂŻ, mettant en Ă©vidence l’intĂ©ressant phĂ©nomène, nouveau pour l’Ă©poque, qui le caractĂ©rise : le complet renversement des rapports traditionnels entre vie publique et vie privĂ©e.
Nadia Caproglio, La Stampa, juin 2010
Bien sûr, la littérature française et étrangère, à partir de la deuxième partie des années vingt, expérimente le montage et l’intégration de documents bruts – prospectus, affiches, extraits de journaux, etc. Tolstoï est mort a en ce sens des précédents fameux. Mais rien pourtant d’aussi radical à ma connaissance que Tolstoï est mort.
Valérie Pozner, Journées Vladimir Pozner, Maison des écrivains, Paris 2005
(voir aussi Valérie Pozner, Tolstoï est mort, Revue d’Etudes slaves, LXXXI (2010), p. 113-124)
Un roman-documentaire sur les derniers jours du grand Ă©crivain.
Nicole Zand, Le Monde, 1992
Je me souviens, moi aussi. Je me souviens d’un livre qui Ă©tait posĂ© par terre, dans un jardin, Ă cĂ´tĂ© d’un fauteuil d’osier vide. Bien avant la guerre. J’empruntai le fauteuil, et le livre. Il Ă©tait question, Ă la première page, d’une petite gare, sur une plaine, sans rien autour, la nuit dĂ©jĂ tombĂ©e. Les trains jamais ne s’arrĂŞtaient, dans cette gare. Et ce soir-lĂ , le chef de gare tendait l’oreille, passait sa veste, sortait en courant de sa chambre : mais oui, le train freinait, s’arrĂŞtait. Une jeune femme en descendait, qui aidait un vieux monsieur souffrant. Le train repartait. Et le chef de gare courait changer les draps du seul lit de la station, le sien. C’est le dĂ©but d’un chef-d’Ĺ“uvre, TolstoĂŻ est mort, de Vladimir Pozner.
Michel Cournot, Le Nouvel Observateur, 1972
Le livre est monté comme un film. Ce grand événement de la mort de Tolstoï se reflète simultanément dans les lettres des siens, dans les articles des journalistes, dans les dépêches des adversaires et disciples lointains. Il en résulte une impression frappante de vérité.
Le Bulletin des Lettres, 1935
Ce livre est saisissant comme la vie, angoissant parfois comme la mort elle-même qui est présente.
L’Echo de Paris, 1935
La sobriĂ©tĂ© du rĂ©cit, l’absence de toute rhĂ©torique donnent Ă ce livre un cachet de vĂ©ritĂ© impossible Ă dĂ©passer. On vit le drame soi-mĂŞme.
Maurice Daubrive, Miroir du Monde, 1936